Sécurité à Toulouse : la droite ne résout pas les problèmes elle les déplace

Jean-Luc Moudenc avait fait de la sécurité l’un des axes prioritaires de sa campagne électorale. Avec des annonces répétées sur le sujet, notamment au lendemain de la rixe meurtrière qui a coûté la vie à un jeune homme en mai 2014, il a longtemps tenté de faire croire aux Toulousains que la politique municipale pourrait à elle seule résoudre l'insécurité.
Deux ans et demi après son élection, force est de constater que les problématiques d’insécurité sont loin d’être résolues ni même réduites, et le discours tenu aujourd’hui fait apparaître des contradictions fondamentales avec les annonces qui furent celles de la campagne.
Lors de la conférence de presse de rentrée du 12 septembre dernier, Jean-Luc Moudenc a ainsi déclaré, et pour la première fois, que « la police municipale ne doit pas être dans une logique de substitution ou de subsidiarité par rapport à la police nationale. La lutte contre la délinquance appartient à la police nationale. Je rappelle que la police municipale est en charge des incivilités, des nuisances ou des infractions », avant de dénoncer l’insuffisance du nombre de policiers nationaux dans notre ville.
La lutte contre la délinquance relève en effet avant tout des prérogatives de l’État. La municipalité possède de son côté certains outils pour l’orienter et l’accompagner, permettant ainsi la mise en œuvre de véritables stratégies locales.
Une politique municipale efficace passe donc d’abord par un partenariat avec l’État et un conventionnement pertinent avec la police nationale. En matière de sécurité, le facteur humain est décisif et, s’il est incontestable que Toulouse a besoin de policiers supplémentaires, il s’agit aujourd’hui de réclamer davantage de policiers nationaux.
Si je partage donc l’essentiel de cette dernière déclaration, il est regrettable que la prise de conscience du maire de Toulouse intervienne si tardivement et la contradiction flagrante avec les propos tenus durant la campagne électorale laisse malheureusement penser que, dans ce domaine comme ailleurs, la vision politique est insuffisante.
C'est pour cette raison qu'aborder le bilan de la politique municipale suppose tout d'abord de rappeler en quelques mots la vision qui est la mienne sur ce sujet. J'appartiens à une génération de militants de gauche qui n'a jamais eu honte de parler des problèmes d'insécurité. Le débat sécuritaire doit, je le crois, être abordé sans tabou parce que l'insécurité est une réalité qui gâche la vie de milliers de Toulousains et de millions de Français, souvent les plus modestes. La sécurité n'est donc pas seulement une composante de la qualité de vie, elle en est la condition. Dès lors, les politiques de sécurité doivent être jugées et évaluées à l'aune d'un seul curseur, celui de l'efficacité.
Justement, qu'est-il advenu de ce pragmatisme martelé avec force par Jean-Luc Moudenc au lendemain des élections ? Il s'est essentiellement traduit par la démultiplication des systèmes de vidéosurveillance, avec l’objectif affiché d’installer 350 caméras d’ici la fin du mandat.
Si je ne suis pas opposé par principe à la vidéosurveillance, dès lors qu’elle s’inscrit dans un cadre qui permet tout à la fois le respect des libertés publiques et la baisse de la délinquance, elle ne saurait selon moi constituer le levier principal dans la lutte contre l’insécurité.
Le système peut certes s’avérer utile pour l’identification des auteurs d’actes délictuels, mais il peine à prévenir la commission de ces actes notamment en matière de lutte contre le terrorisme et ne peut être efficace qu’à la condition que des moyens humains importants soient disponibles pour intervenir rapidement.
A ce jour, la majorité municipale a axé sa communication sur le nombre d’interpellations consécutives à l’installation des caméras, notamment dans le quartier Arnaud Bernard. Or, ces chiffres mettent immédiatement mal à l’aise, principalement parce que l’augmentation des interpellations ne permet en aucun cas de déduire une baisse des actes de délinquance et d’incivilité ni de démontrer l’émergence d’un quartier plus sûr.
Au-delà d’une efficacité loin d’être avérée, cette mono-obsession révèle également une tentation bien grande de déplacer les phénomènes d’insécurité loin du centre-ville avec un grand risque soulevé par nombre d’experts à savoir l’effet dit « plumeau » c’est-à-dire que l’on déplace les problèmes sans les résoudre.
Et les arrêtés municipaux édictés par la majorité municipale sont loin d’infirmer cette tentation. S’agissant de la prostitution, deux ans après sa mise en œuvre, l’arrêté « troubles prostitution » a été reconduit pour la seconde fois le 22 juin dernier avec, selon les mots d’Olivier Arsac adjoint au maire chargé de la sécurité, la volonté de stabiliser « la dispersion de la prostitution » et donc des nuisances connexes qui lui sont attachées.
La terminologie employée laisse immédiatement entrevoir l’effet pervers du dispositif : le déplacement des problématiques visées par l’arrêté vers d’autres quartiers.
Étendu en 2015 vers le Nord de la ville justement pour prendre en compte le déplacement de la prostitution dans cette zone, l’arrêté est aujourd’hui inopérant à lutter contre les nouvelles migrations du phénomène observées et dénoncées par les riverains, notamment vers le haut de l’avenue des États-Unis et le quartier des Amidonniers.
Ces constats suffisent à mettre en évidence l’inefficacité du recours exclusif à cet outil répressif dont le périmètre ne peut, d’un point de vue juridique, être entendu à l’ensemble de la ville sans encourir une annulation.
Cantonné à des quartiers proches du centre-ville, il conduit à créer deux catégories de riverains : les riverains du centre-ville qui bénéficient d’une protection contre les nuisances engendrées par la prostitution, et les autres, exclus du périmètre de l’arrêté, qui subissent les effets de la migration des prostituées dans leur quartier.
Dépourvu de toute vocation sociale ou d’insertion, il est encore impuissant à protéger les prostituées qui ont en besoin et bien plus grave, il dégrade leur situation puisque, chassées des lieux qu'elles connaissent, elles sont rendues plus vulnérables aux agressions.
Ce dispositif qui tend à déplacer les problèmes plus qu’à les résoudre montre véritablement ses limites en termes d’efficacité et il en va de même pour « l’arrêté anti alcool »puisque les associations de riverains constatent que les excès dus à la consommation d’alcool sont loin d’évoluer à la baisse. Olivier Arsac répond là encore par le nombre de verbalisations, qui s’élèveraient à 1 308 en 2015, avant de conclure que l’arrêté anti-alcool « fonctionne très bien » confondant par là même application d'une sanction, nécessaire, mais insuffisante, et résolution d'un problème.
Si bien entendu certains de ces outils répressifs présentent une utilité, ne serait-ce que pour rappeler le sens de la loi dans des endroits affectés par une soudaine concentration de problématiques, la réalité démontre qu’ils ne peuvent à eux seuls constituer une réponse efficace aux problématiques qui sont à la fois des problématiques de détresse pour les sujets visés, et d’insécurité ou d’incivilité pour les riverains. Des mesures de médiation et d’accompagnement social doivent donc être mises en œuvre en parallèle pour endiguer ces phénomènes.
Le déplacement des problématiques qu’ils sont susceptibles de générer constitue par ailleurs une menace pour l’égalité des quartiers toulousains et de leurs habitants en matière de sûreté, et l’écueil est le même pour l’installation des caméras dont l’emplacement, rapidement identifié par les auteurs d’actes répréhensibles, conduit à une migration de la délinquance.
Jusqu’ici, l’approche de la majorité municipale a donc négligé ce qui doit être l’un des fondements principaux de l’élaboration d’une politique en matière de sécurité, à savoir son efficacité.
Romain Cujives
Conseiller municipal de Toulouse
Conseiller communautaire de Toulouse métropole