Interview par le média Politic Région : Toulouse ronronne
Il est désormais l'un des opposants (PS) les plus farouches de Jean-Luc Moudenc à la mairie de Toulouse et à la métropole. Son regard est même désormais tourné vers le Capitole ... 2020, il y réfléchit. Voire il bâtit. Tour d'horizon de l'actualité locale à la terrasse d'une célèbre brasserie de la ville rose.
Politic Région : Dans votre blog, vous avez déclaré être surpris par l'analyse du compte administratif 2015 de Tisséo (syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération toulousaine, ndlr). Pour quelles raisons ?
Romain Cuijives : A travers l'analyse des chiffres, nous pouvons avoir la même sensation que les Toulousains dans leur quotidien. Côté transports, rien ne bouge ! On a beaucoup de belles phrases, de belles envolées, beaucoup de com', mais au final rien ne se fait ou presque. Nous constatons clairement une différence entre le compte administratif, qui est le reflet de ce qui est fait, la réalité de l'exercice, et le budget prévisionnel ... La différence est de l'ordre de 34 millions d'euros. Les investissements sont clairement à la baisse, pour ce qui devrait être la priorité de cette mandature. Mais vous savez, ce que je constate là sur les transports, c'est également valable pour la culture, la vie universitaire ou le développement économique ... Toulouse ronronne.
PR : Mais ce retard en matière de transports publics, n'est-ce pas une responsabilité collective ?
RC : Complètement. Ce ne sont ni Dominique Baudis, ni Pierre Cohen, ni Jean-Luc Moudenc qui ont amené les bouchons dans cette ville. Et la concurrence entre certaines collectivités à travers l'histoire de la ville est largement responsable du retard pris en la matière, en comparaison avec d'autres agglomérations. Mais ceci étant dit, c'est Jean-Luc Moudenc qui est aujourd'hui aux affaires. C'est donc à lui d'avancer des propositions, et de lancer un plan d'urgence sur la question. Ne rien régler, c'est méprisant pour les Toulousains. Et d'ailleurs, si la qualité des transports publics ne s'améliore pas vite, c'est l'emploi qui finira par en pâtir.
Ne rien régler, c'est méprisant pour les Toulousains
PR : Que voulez-vous dire ?
RC : Les métropoles sont en concurrence. Nous sommes en concurrence avec Montpellier, Bordeaux et Marseille. Or, la qualité de nos transports publics, la desserte de nos quartiers et de nos poumons économiques, font partie intégrante de l'attractivité d'une métropole. Être aux responsabilités, c'est donc préparer demain, anticiper la croissance d'une agglomération, l'accompagner ... Je n'ai pas le sentiment que cela soit fait à Toulouse. Quand on ne traite pas les problèmes du quotidien, on prend le risque que demain les entreprises aillent voir ailleurs. Pour ma part, je rêve d'une ville qui rayonne. Toulouse doit y croire, et ne pas se laisser enfermer dans le cercle vicieux dans lequel nous piège la majorité actuelle. Je tire la sonnette d'alarme.
PR : Le débat autour du prolongement de la ligne B du métro et de la troisième ligne sera t-il un marqueur de cette mandature ? A l'instar du BHNS (bus à haut niveau de service, ndlr) sous celle de Pierre Cohen ?
RC : Ne pas prolonger la ligne B, c'est une erreur historique ! Ce prolongement aurait du d'ailleurs être lancé il y a plusieurs années, et chacun a sa part de responsabilité dans cette affaire. Mais lorsque Jean-Luc Moudenc est arrivé aux affaires, le projet était bouclé, financé ... Il ne manquait plus que d'appuyer sur le bouton. Or, si cela avait été fait en début de mandature, Labège aurait eu son métro avant 2020. Les salariés et les patrons de la zone apprécieront ... La réalité quotidienne, c'est que les gens n'en peuvent plus ! D'ailleurs selon moi la grande erreur de Jean-Luc Moudenc est de n'avoir pas su rendre complémentaires les projets de prolongement de la ligne B et de troisième ligne. Son discours est plutôt aujourd'hui de nous dire : « Vous n'aurez rien dans 5 ans, vous n'aurez rien dans 10 ans ! Et en 2028 vous aurez éventuellement une troisième ligne de métro. » Les Toulousains en ont marre des discours.
PR : Vous êtes très critique envers la majorité actuelle ...
RC : Mais citez-moi trois projets concrets mis en route sous cette mandature ! Je défie quiconque de les trouver.
PR : L'auditorium est annoncé par Jean-Luc Moudenc ...
RC : Je n'ai pas vu d'études sur le sujet. Encore une fois c'est un effet d'annonce. Après deux ans, nous n'avons pas le début du commencement de quoi que ce soit. Nous n'avons même pas le lieu définitif d'implantation. C'est cela la vérité. L'immobilisme est érigé en dogme avec cette majorité.
PR : La nouvelle place Saint-Pierre inaugurée par Jean-Luc Moudenc, frustrant pour vous ?
RC : Il faut avoir l'humilité de se dire que peu importe qui porte la paternité de tel ou tel projet. La priorité est de faire toujours mieux pour les Toulousains. Seule la qualité des projets compte.
PR : Dans quel état se trouve la gauche toulousaine ?
RC : Elle va mieux, et n'est incontestablement plus KO. Elle est remontée sur le ring, et elle combat avec enthousiasme. Cette gauche est multiple et diverse, elle doit prendre l'habitude de construire de manière collective, sans hégémonie de qui que ce soit. Dans un contexte difficile, les Toulousains ne nous pardonneraient pas de nouvelles divisions. Je souhaite prendre toute ma part dans l'unité de cette gauche. Je m'engage à jouer collectif, à établir des ponts, sans vouloir gommer les différences entre les uns et les autres. En respectant toutes les sensibilités.
Je m'engage à jouer collectif
PR : Mais cette gauche toulousaine n'est toujours pas incarnée ...
RC : On ne peut pas faire, et certains le font, comme si la question des hommes n'était pas importante. A gauche, nous n'avons pas cette tradition gaulliste de la culture du chef ; nous sommes avant tout sur le projet et l'équipe. Le leader est toujours désigné dans un second temps. Mais nous devons également faire attention à ne pas trop attendre, à trouver le bon tempo, car on sent bien aussi que les Toulousains attendent une incarnation. Laissons passer les élections législatives, et imaginons ensuite un calendrier. 2018 me semblerait le bon compromis pour désigner un leadership. Aujourd'hui l'opposition est portée par un collectif, celui des élus municipaux et métropolitains, ainsi que par le comité de ville du PS ... L'aventure se construit.
PR : Vous sentez-vous aujourd'hui à l'aise au PS ?
RC : Question complexe. Le gouvernement n'a pas forcément respecté les engagements que nous avions porté collectivement en 2012 ... Cela interroge donc forcément. La situation actuelle est difficile à vivre autant pour les militants socialistes que pour les Français. Tout n'a pas été fait, et c'est regrettable. Il va vraiment falloir qu'on réinvente la manière dont on pratique la politique. Il va vraiment falloir se mettre à faire ce que l'on dit ! La chose publique mérite mieux, non ?
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Propos recueillis par : Thomas SIMONIAN - Directeur de la rédaction | @tsimonian
Photos : Photos : Patrick Crasnier / PR